Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques, VI (1616)

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Que la mort (direz-vous) était un doux plaisir
La mort morte ne peut vous tuer, vous saisir.
Voulez-vous du poison ? en vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? en vain le précipice.
Courez au feu brûler, le feu vous gèlera ;
Noyez-vous, l'eau est feu, l'eau vous embrasera ;
La peste n'aura plus de vous miséricorde ;
Etranglez-vous, en vain vous tordez une corde ;
Criez après l'enfer, de l'enfer il ne sort
Que l'éternelle soif de l'impossible mort.
Vous vous plaigniez des feux : combien de fois votre âme
Désirera n'avoir affaire qu'à la flamme !
Vos yeux sont des charbons qui embrasent et fument,
Vos dents sont des cailloux qui en grinçants s'allument.
Dieu s'irrite en vos cris et au faux repentir,
Qui n'a pu commencer que dedans le sentir.
Ce feu, par vos côtés ravageant et courant,
Fera revivre encor ce qu'il va dévorant ;
Le chariot de Dieu, son torrent et sa grêle,
Mêlent la dure vie et la mort pêle-mêle.
Aboyez comme chiens, hurlez en vos tourments,
L'abîme ne répond que d'autres hurlements ;
Les Satans découplés d'ongles et dents tranchantes
Sans mort déchireront leurs proies renaissantes ;
Ces Démons tourmentants hurleront tourmentés ;
Leurs fronts sillonneront ferrés de cruautés ;
Leurs yeux étincelants auront la même image
Que vous aviez baignants dans le sang du carnage ;
Leurs visages transis, tyrans, vous transiront,
Ils vengeront sur vous ce qu'ils endureront.

Publié dans Textes divers

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